Beaucoup de femmes ont joué un rôle crucial, mais souvent négligé, de traductrices littéraires. Découvrez trois de ces femmes qui ont fait une contribution profonde aux échanges intellectuels et culturels dans leur société d'origine, traduisant des textes clés dans leur langue respective, faisant progresser la pensée intellectuelle ou défendant les droits des femmes. Leur vie et leur travail continuent d'inspirer aujourd'hui.
Birgitte Thott : féminisme et traduction de classiques
Birgitte Thott (1610–1662) a utilisé ses remarquables capacités linguistiques pour introduire des connaissances étrangères dans son Danemark natal.
Elle parlait couramment plusieurs langues, notamment le latin, le grec, l'hébreu, le français et l'anglais. Thott est surtout connue pour sa traduction du Philologus de Sénèque, une œuvre de mille pages qui a introduit la philosophie stoïcienne aux lecteurs danois.
Ce travail a élargi la pensée danoise, tout en enrichissant la langue de nouveaux termes et expressions. Le travail de Thott est d'autant plus impressionnant qu'elle l'a fait à une époque où les femmes étaient rarement éduquées, et encore moins reconnues pour leur production universitaire.
L'accès des femmes à l'éducation
Au-delà de son travail de traduction, Birgitte a été l'une des premières défenseuses des droits des femmes en Scandinavie. Dans son manuscrit non publié Om et lyksaligt liv (Sur une vie heureuse), elle a soutenu que les femmes devraient avoir accès à l'éducation et que les traductions pourraient aider à combler les fossés culturels et linguistiques pour ceux qui n'ont pas eu la possibilité d'étudier d'autres langues.
Elle a aussi écrit avec passion sur la façon dont les jeunes filles étaient rarement encouragées à des activités intellectuelles :
« Personne n'ouvre l'appétit à la douceur qu'on y trouve. Personne ne leur dit quelle nourriture délicieuse il y a pour l'âme… » (Traduction libre)
Elle trouve également étrange que la plupart des gens excluent :
« la moitié de l'humanité, c'est-à-dire l'ensemble de l'humanité féminine, de la possibilité d'apprendre des langues étrangères et d'être instruites dans toute forme de connaissances et de domaines (...) Par cela, je pense, les femmes subissent la plus grande injustice. » (Traduction libre)
Les productions intellectuelles de Thott lui ont valu d'être reconnue parmi les femmes savantes européennes, incluant aussi la première femme à étudier officieusement dans une université néerlandaise, Anna Maria van Schurman. Schurman a qualifié Birgitte de « dixième muse », un terme réservé aux érudites les plus distinguées de l'époque.
Sarah Austin : vulgariser la littérature allemande
Sarah Austin (1793–1867) était une traductrice et éditrice anglaise qui a joué un rôle central dans la présentation des auteurs allemands au public britannique. Les traductions de Sarah étaient des œuvres linguistiques mais aussi des actes de médiation culturelle, contribuant à combler les fossés intellectuels entre la Grande-Bretagne et l'Europe continentale.
Traduire non seulement des mots, mais aussi des idées
L'œuvre la plus célèbre de Sarah est sa traduction des Characteristics of Goethe from the German of Falk, Von Müller, and others qu'elle a enrichie de commentaires précieux. Sarah a également traduit des œuvres comme l'History of the Popes de Leopold von Ranke (1840) et le rapport de Victor Cousin sur l'état de l'instruction publique en Prusse. Dans la préface de ce dernier, elle défend la nécessité d'une éducation nationale en Grande-Bretagne :
« La société n'est plus un calme courant, mais une mer agitée ; le respect pour la tradition, pour l'autorité, a disparu. Dans un tel état des choses, qui peut nier la nécessité absolue de l'éducation nationale ? » (Traduction libre)
Ses travaux de traduction ne se limitent pas à la langue. Elle a cherché à transmettre les idées sous-jacentes et le contexte culturel des œuvres qu'elle a traduites. Selon ses propres termes, elle s'est fixée un niveau d'exigence élevé en tant que traductrice :
« J'ai toujours eu pour habitude, dès que je me suis engagée à traduire un ouvrage, d'écrire à son auteur pour lui annoncer mon intention et lui dire que s'il avait des corrections, des omissions ou des ajouts à faire, il pouvait compter sur l'attention que je porterai à ses suggestions. » (Traduction libre)
Les traductions de Sarah ont été appréciées par ses contemporains et son travail a été une source importante de revenus pour sa famille. Sa fille, Lucie Duff Gordon, et sa petite-fille, Janet Ross, ont toutes deux suivi ses traces en développant des carrières littéraires accomplies, tout en traduisant.
Émilie du Châtelet : des débats scientifiques à travers les langues
Émilie du Châtelet (1706–1749) était une naturaliste et mathématicienne française.
Sa réalisation la plus reconnue a été la traduction et le commentaire de Philosophiæ naturalis principia mathematica d'Isaac Newton. Sa traduction depuis le latin, publiée à titre posthume, reste l'édition française de référence et a joué un rôle clé dans la diffusion de la physique newtonienne en France et au-delà.
Améliorer l'original
La traduction d'Émilie des Principia de Newton était bien plus qu'un simple travail linguistique. Elle a apporté des commentaires détaillés et des corrections, montrant sa profonde compréhension de la physique et sa contribution personnelle à la mécanique newtonienne.
En plus de son travail de traduction, Émilie a écrit Institutions de Physique (1740). Cet ouvrage a été présenté comme une analyse des nouvelles idées scientifiques et philosophiques à étudier par son fils de 13 ans, mais il visait également à concilier les idées complexes des grands esprits de l'époque. Elle a synthétisé les idées de Gottfried Leibniz et d'Isaac Newton, offrant une nouvelle perspective sur leurs théories apparemment opposées. Son travail a prouvé son indépendance intellectuelle et sa capacité à se placer sur un pied d'égalité parmi les plus grands esprits des Lumières.
Bien que souvent éclipsées par sa collaboration et sa relation romantique avec Voltaire, les contributions d'Émilie à la science sont incontestées.
Traduction : Nolwenn Gouault