Histoire

Les descriptions coloniales

Analyser comment les métadonnées peuvent être pernicieuses

Photographie en noir et blanc, un homme dans un musée tient une lance et un bouclier, debout à côté d'une exposition d'objets.
par
Sofie Taes (s'ouvre dans une nouvelle fenêtre) (KU Leuven / Photoconsortium)
Jolan Wuyts (s'ouvre dans une nouvelle fenêtre) (Europeana Foundation)
Jonas Van Mulder (KADOC-KU Leuven)

Dans ce deuxième blog sur l'héritage colonial dans les institutions du patrimoine culturel, nous approfondissons la façon dont les métadonnées et les descriptions sont vues et (ré)interprétées. Pour en savoir plus sur ce travail et le projet DE-BIAS, vous pouvez lire le premier blog de la série sur les « représentations coloniales ».

Nous avons recueilli quelques témoignages et commentaires écrits par des membres d'Intellectuele Congolese Kring, une organisation qui s'efforce de représenter les intérêts de la population congolaise en Belgique. Ils ont été invités à porter un regard critique sur les descriptions coloniales des peuples et de l'histoire congolais, en collaboration avec la KU Leuven et la KADOC. Voici quelques-unes de leurs contributions.

Marie-Antoinette

Marie-Antoinette est mère de trois enfants et travaille comme travailleuse sociale.

La plupart des mots utilisés dans les descriptions de collections de musées ne sont pas neutres, ils ont plutôt une connotation négative en rappelant la supériorité de l'homme blanc par rapport à l'homme noir. Elles extériorisent non seulement l'humiliation physique mais aussi morale et spirituelle du peuple congolais. Presque tous les mots et images de la période coloniale évoquent le dénigrement des Noirs par les Blancs tout en soulignant leur autorité et leur supériorité dans la gestion de la société.

L'expression «pays du tiers monde», par exemple, classe ces pays dans la catégorie des faibles et les subordonnent aux « pays du premier monde ». J'aurais préféré le terme « pays en développement » car il évoque l'espoir et une direction vers la progression.

photographie en noir et blanc, un enseignant dans une salle de classe avec des élèves assis à leur bureau.

Je n'aime pas le terme « Évolués », je préfère parler d'acculturation. Les Noirs dits « évolués » étaient ceux censés vivre comme des Blancs, assimilant leur culture : manger avec des cuillères, des couteaux et des fourchettes, s'habiller comme eux, parler leur langue, etc. Même s'ils s'acculturaient à la culture blanche, ils restaient malheureusement toujours subordonnés à un Bwana, le « civilisateur ».

J'éprouve un sentiment similaire en ce qui concerne les cours d'« inburgering » (intégration/intégration et citoyenneté), à la seule différence qu'avec ces derniers, ils omettent de mentionner leur « mission civilisatrice ».

Darcy

Darcy est étudiant à l'université et agent de liaison pour les étudiants concernés par la diversité et l'inclusion.

Photographie en noir et blanc, un groupe de personnes assises autour d'une table en plein air.

Cette photo est intitulée « Pique-nique en Afrique au tournant du siècle ». L'utilisation du mot « Afrique » semble inappropriée ici. Cela nous rappelle que le terme « africain » est souvent utilisé comme une description généraliste pour toute personne noire.

Peut-être que le terme « Afrique » a été utilisé ici en raison d'un manque d'information : le conservateur ne savait pas exactement où la photo avait été prise. Le reste de la description est également trop vague, ce qui rend la valeur et le sens de cette photo peu clairs. Pourquoi devrait-on s'intéresser à cette photo ? En quoi est-elle importante ? Aucune de ces informations n'est présente dans la description.

Photographie en noir et blanc, un groupe de personnes noires debout et assises, l'aile d'un avion est visible à l'arrière-plan.

La photo ci-dessus avec la description « Réfugiés » présente des problèmes similaires à la photo précédente. L'utilisation du mot « réfugiés » enferme immédiatement cette image, empêchant les spectateurs d'envisager d'autres interprétations de la photographie.

Si la description indiquait le but du photographe dans la prise de l'image, cela serait utile pour comprendre sa pensée. Par exemple, « le photographe voulait démontrer les circonstances dans lesquelles se trouvaient les réfugiés de Manono ». En même temps, cela donnerait à ceux qui regardent la photo l'espace de la réinterpréter différemment des intentions initiales du photographe.

Yves

Yves a co-fondé une organisation visant à fournir des opportunités éducatives aux enfants de l'est du Congo.

Portrait en noir et blanc d'un jeune homme noir de profil.

Je pense que c'est une très belle photo. Elle s'intégrerait parfaitement dans un magazine de mode. Je pense que le nom de la personne photographiée devrait être mentionné dans les métadonnées. C'est le moins que l'on puisse faire pour honorer le sujet de la photo. Qui sait, peut-être que quelqu'un pourrait reconnaître son ancêtre à travers une photo comme celle-ci, récupérant ainsi un morceau de son histoire familiale ?

Je me demande également si cette personne a consenti à ce que sa photo soit prise. S'agissait-il d'une photo posée ou a-t-elle été prise à son insu et sans la permission du sujet ?


Silence assourdissant

La présence de métadonnées rudimentaires, incomplètes ou de qualité insuffisante est problématique : le manque de profondeur, de précision ou de substance rend presque impossible d'évaluer si les descriptions ou les étiquettes des objets culturels étaient destinées à nuire intentionnellement ou si elles peuvent seulement être interprétées comme telles.

Cela met à nu un phénomène souvent repéré lorsqu'on travaille avec un patrimoine contesté : nous n'avons souvent pas toutes les informations sur le voyage et la provenance d'un artefact. Soit la trace de l'information est incomplète, soit elle n'a jamais été documentée en premier lieu. Dans de nombreux cas, le parti pris réside dans le silence des descriptions : les éléments sont (in)consciemment éludés, soit par ignorance soit par intention.


Le projet DE-BIAS project vise à à donner la parole aux voix sous-représentées dans le but de recontextualiser les collections controversées du patrimoine culturel. Grâce à des événements en co-création, des initiatives de productions participatives, la création d'un vocabulaire et d'un graphe de connaissances des termes litigieux, et la création d'un outil en ligne pour détecter les termes biaisés dans les métadonnées du patrimoine culturel, DE-BIAS vise à aider le secteur du patrimoine culturel à entrer dans l'ère postcoloniale.


Traduction : Nolwenn Gouault