Les représentations coloniales
Réinterpréter la représentation du colonisé par le colonisateur
Réinterpréter la représentation du colonisé par le colonisateur
La tristement célèbre citation « L'histoire est écrite par les vainqueurs » ne se rapporte pas seulement à l'histoire de la guerre : elle indique également comment les oppresseurs façonnent le récit autour du peuple qu'ils oppriment.
Pendant des siècles, les conservateurs et archivistes européens ont décrit et archivé des artefacts coloniaux, souvent sans avoir une idée claire du contexte de ces objets qui n'appartenaient pas à la culture ou à l'expérience vécue de ceux qui les décrivaient. Cela a laissé les collections du patrimoine culturel européen remplies d'objets et de descriptions contenant un langage et une imagerie nocifs, réducteurs, exotisants et/ou racistes.
Les gens sont de plus en plus exposés à ces représentations et descriptions nuisibles dans les institutions du patrimoine culturel en raison de la numérisation de masse dépourvue d'une réflexion critique et d'une mise à jour suffisantes des métadonnées.
Les institutions du patrimoine culturel tentent de plus en plus de faire face à ce passé controversé. L'un des moyens d'y parvenir est de rapatrier des objets ou de replacer les représentations coloniales dans un contexte historique significatif. Une autre manière consiste à donner aux populations minorisées un meilleur accès aux collections, pour leur permettre d'explorer, de réinterpréter et de se réapproprier leur propre histoire.
Le projet DE-BIAS est une initiative qui vise à développer une approche postcoloniale du patrimoine culturel. Elle le fait, en partie, en invitant les groupes minorisés et leurs alliés à redécrire, critiquer, commenter et cogérer les collections du patrimoine culturel, dans l'espoir d'arriver à une vision plus respectueuse et moins déséquilibrée de ce patrimoine.
Ce blog rassemble des témoignages et des commentaires écrits par des membres d'Intellectuele Congolese kring, une organisation qui s'efforce de représenter les intérêts de la population congolaise en Belgique. Ils ont été invités à porter un regard critique sur les descriptions coloniales des peuples et de l'histoire congolais, en collaboration avec la KU Leuven et la KADOC. Voici quelques-unes de leurs contributions.
Othi est un écrivain et poète qui écrit en langue congolaise locale
Cette photo s'appelle « Une beauté congolaise » mais il n'y a rien de beau dans cette photo. On voit comment cette photo objectifie sexuellement la femme noire, qui doit montrer de la nudité pour être belle. La femme n'a pas l'air heureuse non plus, elle semble triste, très triste et impuissante. Si c'était une femme blanche, cette photo ne serait pas présentée ainsi. Nous verrions probablement une femme entièrement habillée, souriant et regardant la caméra.
J'appellerais plutôt cette photo « Tristesse congolaise » au lieu de « beauté ».
Cette image est également très dégradante. Elle laisse entendre que l'homme noir n'est pas assez masculin pour se mesurer à la figure blanche, comme si sa petite taille était une métaphore de sa vie. L'homme noir n'est pas habillé, l'officier blanc l'est. On retrouve ici la manifestation du pouvoir de l'homme blanc, de sa supériorité et de son sentiment d'être meilleur, alors que ce n'est pas le cas.
Pauline est en charge de la communication à l'Africamuseum de Tervuren
Cette image me provoque des sentiments mitigés. D'une part, j'apprécie la beauté et la richesse culturelle qui rayonnent des femmes de cette photo. Leur posture fière et leurs vêtements raffinés reflètent un héritage traditionnel et une esthétique profondément ancrés dans la société congolaise.
D'un autre côté, je me rends compte que cette image a certainement été montrée avec des intentions différentes que de simplement célébrer la beauté. La photo a probablement été prise lors de l'Exposition universelle d'Anvers en 1894. Dans le contexte de cette époque, ces femmes semblent être présentées dans une perspective coloniale et primitiviste, dans laquelle leurs valeurs culturelles et leur dignité humaine ont été sapées.
Je pense que l'intention derrière cette exposition était de déshumaniser les Congolais et de les dépeindre comme des sauvages, sans aucune profondeur ni respect pour la complexité de leur société. Il y a un manque de contexte concernant la profonde richesse culturelle et les structures sociales avancées représentées par ces femmes. Néanmoins, l'image reste intrigante et contient une mine d'informations sur les riches civilisation et culture, souvent sous-estimées, que ces femmes congolaises incarnent.
Yves a co-fondé une organisation visant à fournir des opportunités éducatives aux enfants de l'est du Congo
C'est une très belle photo pour moi. Je vois qu'elle montre trois hommes de l'Ituri. Je suppose que ce sont des figures importantes. J'aimerais connaître leurs noms. Peut-être viennent-ils d'une vieille famille royale ? Qui sait ? Ils posent là, mais ne rient pas.
Je ne sais pas s'ils avaient donné leur autorisation pour se faire prendre en photo, ou quel en était le but. Ces questions se posent quand je regarde cette image.
La contribution des membres d'Intellectuele Congolese Kring à la discussion autour de ces objets est cruciale pour montrer comment les vestiges de l'époque coloniale se répercutent toujours dans les collections du patrimoine culturel à ce jour. Les photographies mises en évidence dans ce blog montrent le regard, l'enfermement et les pensées du colonisateur. En prenant en compte les contributions de ce blog, nous ajoutons une autre facette à l'histoire, une autre voix à la narration.
Non seulement les objets eux-mêmes, mais aussi la façon dont ils sont décrits dans les métadonnées peuvent être potentiellement dommageables. Dans le blog « Les descriptions coloniales », nous mettons en évidence la façon dont les membres du Intellectuele Congolese Kring réfléchissent aux mots et aux descriptions utilisés dans les métadonnées du patrimoine culturel colonial congolais.
Le projet DE-BIAS project vise à à donner la parole aux voix sous-représentées dans le but de recontextualiser les collections controversées du patrimoine culturel. Grâce à des événements en co-création, des initiatives de productions participatives, la création d'un vocabulaire et d'un graphe de connaissances des termes litigieux, et la création d'un outil en ligne pour détecter les termes biaisés dans les métadonnées du patrimoine culturel, DE-BIAS vise à aider le secteur du patrimoine culturel à entrer dans l'ère postcoloniale.
Traduction : Nolwenn Gouault